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Le deuxième Canon du Concile de Francfort (794) : l’iconoclasme frank dans son contexte historiquehigoumène Andrew (Wade) Le Concile de Francfort fut un grand Synode de l’Occident, tenu en 794 en présence de Charlemagne et des légats du Pape Hadrien I, et composé des évêques de Gaule, d’Allemagne et d’Aquitaine. Le but principal de ce concile était de condamner l’Adoptianisme, ce qui fut fait dans le premier canon.[1] Il s’est occupé dans son Deuxième Canon de la question de la vénération donnée aux images et de la prétention du Concile Nicée II d’être Œcuménique.[2] Voici le texte de Canon II[3] : « On a soulevé la question concernant le synode récent que les Grecs avaient tenu à Constantinople [sic] concernant l’adoration [sic] des images, disant que tous devaient être jugés dignes d’anathème qui ne rendaient pas aux images des Saints le service et l’adoration comme à la Divine Trinité. Nos très saints pères ont rejeté avec mépris et de toute manière de tels adoration et service, et l’ont condamné unanimement. » Il faut remarquer que le Conciliabule iconoclaste (qui pensait exactement comme Francfort !) fut tenu en 754 à Constantinople sous l’empereur Constantin Copronyme, tandis que le Septième Concile fut tenu en 787 à Nicée. Il semble bien que les évêques à Francfort ont confondu ces deux synodes, bien que leurs défenseurs aient essayé d’expliquer la contradiction apparente en faisant valoir que ce concile fut convoqué à Constantinople et transféré ensuite à Nicée. En outre, la dernière réunion fut tenue dans le palais de Constantinople. Plus grave que la confusion géographique est la confusion théologique : ni l’un ni l’autre des ces synodes (ni aucun autre) n’a lancé l’anathème au « service » (latreia) et à l’« adoration » (proskinisi), dus à la sainte Trinité, rendus aux « images des Saints ». Avant de placer ce canon dans son contexte historique, il convient de mentionner l’assemblée des évêques tenue à Paris, selon Fleury[4], Roisselet de Sauclières[5] et Hefele[6] en novembre 825. Ces auteurs disent que les évêques ont condamné le Septième Concile et ont approuvé les Livres Carolins. Il est intéressant d’observer qu’aussi tard qu’en 825 une assemblée d’évêques occidentaux a apparemment rejeté un Concile Œcuménique approuvé par le pape Hadrien I déjà avant le Concile de Francfort, accusant le pape d’avoir « commandé aux hommes d’adorer des images superstitieusement (quod superstitiose eas adorare jussit) et demandant au pape de l’époque (Eugène) de corriger les erreurs de ses prédécesseurs. Ces décisions remarquables n’ont provoqué aucune réaction de la part de Rome ! Pourtant, toutes les pièces dressées dans la conférence furent portées à l’empereur Hludwig par les évêques Halitgaire de Cambrai et Amalaire[7]. L’empereur les approuva et les envoya au pape Eugène par les évêques Jérémie de Sens et Jonas d’Orléans, au nom des deux empereurs Hludwig et Hlother.[8] Cette réunion avait été provoquée par les agissements de l’empereur iconoclaste de Byzance, Michel, qui sortait d’une famille judaïco-chrétienne de Phrygie.[9] Il était fort ignorant, savait à peine lire, et était ennemi de l’instruction. C’est pourquoi il défendit d’initier les enfants aussi bien à l’ancienne littérature grecque qu’à la littérature chrétienne. Il affectait de mettre toute la science dans l’étude des animaux domestiques et de leurs qualités. Il montrait pour tout le reste la plus grande indifférence. Il montrait pour les moines le plus souverain mépris.[10] En 824, ne craignant plus autant les orthodoxes, l’empereur Michel envoya des ambassadeurs à l’empereur d’Occident, Hludwig le Pieux, fils de Charlemagne, auquel il adressa une lettre dans laquelle on lit[11] : « Nous vous faisons savoir que plusieurs, chez nous, ont introduit des nouveautés pernicieuses, en s’éloignant des traditions apostoliques. Ils ont ôté la croix des églises et les ont remplacées par des images devant lesquelles ils allumaient des lampes et brûlaient de l’encens comme devant la croix. » Ici, il convient de remarquer que ce culte des images n’avait rien de nouveau. Même en Occident, nous lisons chez Fortunatus, au 6ème siècle en Gaule : « Ici sur le mur il y a une image du Saint et sous ses pieds une petite fenêtre, et une lampe. Dans le bol en verre de cette lampe, le feu brûle. »[12] L’empereur Michel continue : « Ils chantaient devant ces images, ils les adoraient et imploraient leur secours. Plusieurs leur donnaient des vêtements et en faisaient les marraines de leurs enfants. « Ils faisaient tomber sur elles les premiers cheveux qu’ils coupaient à leurs enfants ; d’autres leur offraient les cheveux qu’on leur coupait lorsqu’ils entraient dans l’état monastique. Des prêtres grattaient les peintures des images, les mêlaient au vin consacré et les distribuaient aux communiants. D’autres prêtres mettaient le pain eucharistique sur les mains des personnages peints sur les images, et les communiants le prenaient sur les images pour se communier. Certains prêtres se servaient des planches, sur lesquelles on avait peint des images, comme d’autels, et célébraient dessus les saints mystères dans les maisons particulières. On pourraient signaler d’autres abus. « C’est pour y remédier que les empereurs orthodoxes ont assemblé un concile, d’accord avec les plus savants évêques. Ils ont décidé que les images seraient enlevées du bas des murs des églises pour être placées en haut où elles ne pouvaient plus être qu’un moyen d’enseignement pour les fidèles. Ainsi placées, les ignorants ne pouvaient plus les adorer, allumer des lampes devant elles et leur offrir de l’encens. Quelques-uns de ces ignorants refusant de se soumettre aux décisions des conciles locaux, se sont adressés à Rome et y ont calomnié notre Eglise. Nous ne tenons aucun compte de leurs mauvais discours et nous vous déclarons que nous sommes orthodoxe. Nous croyons à la Trinité d’un Dieu en trois personnes, à l’Incarnation du Verbe, à ses deux volontés et à ses deux opérations. Nous demandons l’intercession de la sainte Vierge, Génitrice de Dieu et de tous les saints ; nous révérons leurs reliques ; nous recevons toutes les traditions apostoliques et les ordonnances des six conciles œcuméniques. « Nous envoyons nos lettres au pape de Rome avec un Evangile orné d’or et de pierreries, une patène et un calice pour être offerts à l’église de Saint Pierre par nos ambassadeurs. Nous vous prions de les faire conduire à Rome avec honneur et sûreté et d’en faire chasser les mauvais chrétiens qui calomnient notre Eglise. » Ainsi, sous les apparences de l’orthodoxie, l’empereur Michel calomniait le culte des icônes et refusait de reconnaître le Concile Nicée II comme Œcuménique. Le Père Guettée[13] ajoute que ces mêmes ambassadeurs étaient porteurs d’étoffes précieuses pour l’empereur Hludwig et un exemplaire grec des ouvrages de Saint Denis l’Aréopagite. Hilduin, abbé de Saint Denis, reçut ces ouvrages apocryphes comme un présent du ciel et écrivit ses fameuses Aréopagitites qui contribuèrent à faire passer pour les œuvres de Saint Denis l’Aréopagite les ouvrages d’un disciple d’Origène, qui était peut-être Saint Denis d’Alexandrie. On ne connaissait pas encore ces ouvrages en occident, et Hilduin put se livrer à toutes les fantaisies de son imagination pour l’honneur de son abbaye de Saint Denis, quoique son vrai patron fût Saint Denis de Paris. Hludwig fit accompagner à Rome les ambassadeurs de l’empereur de Constantinople par ses propres ambassadeurs qui demandèrent au pape l’autorisation de faire examiner la question des images par les évêques de l’empire frank. La question étant examinée avec cette autorisation devait avoir une plus haute importance aux yeux de toute l’Eglise. Le pape Eugène, qui avait succédé à Pascal, accorda cette autorisation et c’est ainsi que Hludwig convoqua les plus savants évêques de son empire à Paris pour le mois de novembre 825. D’après le travail que les membres de l’assemblée adressèrent à Hludwig,[14] il est évident qu’on avait conservé dans l’Eglise franke toutes les fausses idées des Pères du concile de Francfort relativement à la foi des Orientaux sur le culte des images. Tout en condamnant le concile iconoclaste de Constantin Copronyme, les évêques attaquent la réponse du pape Hadrien aux Livres Carolins et les actes du deuxième concile de Nicée comme erronés, opposés à la vraie tradition catholique et comme favorisant un culte superstitieux envers les images. Ils ont recueilli un grand nombre de textes plus ou moins propres à jeter du jour sur la question. Hefele[15] remarque que ces évêques non seulement faussent l’enseignement d’Hadrien et du Septième Concile, mais qu’ils citent un passage de Saint Augustin qui, dit-il, « enseigne exactement l’opposé des intentions de ce synode, car ce passage dit que le mot colere peut être employé pour les hommes ». Ensuite, les membres de la conférence dressèrent deux projets de lettres, l’une de Hludwig au pape, l’autre du pape à l’empereur Michel. Ils ne parlent pas dans toutes ces pièces avec une rigueur théologique incontestable, mais on s’aperçoit facilement, à travers une foule de raisonnements assez peu justes, que leur opinion sur le culte des images était orthodoxe sur le fond ; seulement, ils confondaient le culte purement honorifique que réclamaient les papes et le second concile de Nicée avec l’adoration proprement dite qui n’est due qu’à Dieu. L’opposition de Charlemagne à ConstantinopleLa montée de l’islam dans le bassin méditerranéen au 8ème siècle a fortement contribué à séparer l’occident de l’orient chrétiens. Coupé de Byzance, l’occident a procédé à l’établissement de son propre Empire « Romain »[16]. Comme le sait chaque Français, le jour de Noël 800 Charlemagne, roi des Franks, a réussi à se faire couronner Empereur par le pape. Avant et après cet événement, Charlemagne a cherché à se faire reconnaître par l’Empereur de Byzance, mais sans succès ; comme l’observe l’évêque Kallistos (Ware),[17] les Byzantins adhéraient encore au principe de l’unité impériale et considéraient Charlemagne comme un intrus et le couronnement papal comme un acte de schisme dans l’Empire. La création d’un « Saint Empire Romain » en occident n’a fait qu’aliéner l’occident de l’orient encore davantage. Face à l’attitude de Byzance, Charlemagne cherchait à se justifier. La renaissance culturelle à la Cour de Charlemagne était marquée dès le début par un fort préjugé contre les Grecs. L’hostilité avec laquelle le nouvel Empire Romain de l’occident bravait Constantinople n’était pas seulement politique, mais culturelle et théologique aussi.[18] La politique théologique franke était d’établir une autorité universelle pour l’évêque de Rome et de condamner Constantinople pour hérésie. Le résultat serait que l’orient disparût et que Charlemagne fût le roi du monde entier. Ayant fait du pape son vassal, Charlemagne donna à ses théologiens la tâche d’établir la thèse que l’évêque de Rome était le seul successeur de l’apôtre Pierre, qui aurait eu juridiction sur les autres apôtres, et que le pape avait par conséquent une juridiction universelle et une autorité suprême et infaillible en matière de questions de foi. Il a fallu créer de faux documents pour soutenir cette thèse révolutionnaire, car même les auteurs patristiques latins d’occident condamnaient un tel enseignement. Il semble d’ailleurs que Paul, et non Pierre, ait fondé l’Eglise de Rome. Paul ne mentionne pas Pierre dans sa Lettre aux Romains, et il promet de venir bientôt pour évangéliser la capitale.[19] Ceci est confirmé par Saint Irénée de Lyon (c. 150-c. 210), qui dit que Paul a ordonné les premiers deux évêques de Rome, Linus et Clétus, et que Pierre n’est venu à Rome que pour y mourir, durant l’épiscopat de Clétus. Il a ordonné Clément, qui est devenu le troisième évêque de Rome.[20] Si Saint Irénée appelle Clément le troisième évêque de Rome, c’est que Linus était le premier. Comment donc prétendre que les évêques de Rome sont les successeurs de Saint Pierre ? Augustin d’Hippone démontre que Petrus n’est pas petra (Pierre n’est pas la pierre) : « Il ne lui a pas été dit en effet : tu es petra, mais : tu es Petrus. Or la petra était le Christ (I Cor 10 : 4) qu’a confessé Simon, comme toute l’Eglise le confesse : il a été dit Petrus »[21]. « Car la pierre était le Christ, et Pierre est le peuple chrétien. ‘Tu es’, dit-il, ‘Pierre’, et sur cette pierre que tu as reconnue en disant ‘Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant’, je construirai mon Eglise. Je te construirai sur Moi, et non Moi sur toi. »[22] Cyprien de Carthage (c. 200-258) dit : « Tout évêque siège sur le trône de Pierre ».[23] Au 6ème siècle, Saint Grégoire le Grand, pape de Rome, dit : « Pierre, le premier des apôtres, et membre de l’Eglise sainte et universelle ; Paul, André, Jean, ne sont-ils pas les chefs de certains peuples ? et cependant tous sont membres sous un seul chef. (…) Ne sont-ils pas membres de l’Eglise ? et il n’en est aucun parmi eux qui ait voulu être universel. »[24] « Si quelqu’un usurpe dans l’Eglise un titre qui résume en lui tous les fidèles, l’Eglise universelle – ô blasphème – tombera donc avec lui, puisqu’il se fait appeler universel ! Que les chrétiens rejettent donc ce titre blasphématoire, ce titre qui enlève l’honneur sacerdotal à tous les prêtres dès qu’il est follement usurpé par un seul ! »[25] « Si un évêque est appelé universel, toute l’Eglise s’écroule si cet universel tombe… ».[26] « Moi je dis, sans la moindre hésitation, que quiconque s’appelle l’évêque universel ou désire ce titre est, par son orgueil, le Précurseur de l’Antéchrist, parce qu’il prétend ainsi s’élever au-dessus des autres. »[27] Malgré et contre tout ceci, les auteurs franks ont inventé de toutes pièces les Fausses décrétales et la Fausse donation de Constantin. Dans les Fausses décrétales, les anciens évêques de Rome se voient réclamer pour eux les droits et prérogatives que les papes venaient de se faire attribuer par les théologiens carolingiens. Ces Fausses décrétales[28] apparaissent pour la première fois à Cologne, Trèves et Metz. Rikulf de Mayence en fit écrire des copies ; Angelramn de Metz apporta la première collection à Rome ; Rikulf l’apporta ensuite. Si les Décrétales qui se trouvent dans cette collection étaient authentiques, c’est de Rome qu’elles seraient sorties, et non pas d’Allemagne pour aller à Rome.[29] De toute façon, aucun historien ne cherche à démontrer l’authenticité de ces faux de nos jours. Cependant, la démarche était fort habile. Ces faux documents justifiaient le pouvoir temporel et spirituel que les théologiens franks attribuaient au pape de Rome, vassal de l’Empire. Cela flattait les papes, mais une fois devenus complices, ils étaient pris au piège, pour la plus grande gloire de l’empire carolingien. La papauté qui possédait les collections de Denys le Petit et d’Isidor de Séville[30] aurait dû protester contre la collection falsifiée. Elle s’en garda bien. Elle accueillit à Rome avec faveur ce qui confortait leurs prétentions. C’est ainsi que la papauté ecclésiastique s’établissait, au moment où les rois franks allaient établir la papauté temporelle, en donnant à Saint Pierre de riches domaines que l’on nomma depuis Patrimoine de Saint Pierre. Les papes unirent dès lors le pouvoir temporel au pouvoir ecclésiastique. Jusqu’au septième siècle, les évêques de Rome avaient possédé d’immenses propriétés et des richesses considérables ; mais ce ne fut qu’au septième siècle que les rois franks leur donnèrent des domaines sur lesquels ils jouirent du droit de souveraineté. Cependant, au début, les papes ne jouirent de la souveraineté que dans les conditions où cette souveraineté existait alors. Vis-à-vis des rois franks, les papes n’étaient que des leudes reconnaissant l’empereur d’Occident pour leur suzerain. D’un autre côté, le Sénat romain n’abandonna pas ses droits et continua à défendre ses prérogatives politiques contre les papes. Ceux-ci n’étaient donc souverains temporels que sous la dépendance et le protectorat des rois franks, et sous la réserve des droits du Sénat et du peuple romain. Sur le front proprement théologique, les théologiens carolingiens se firent champions de la nouvelle doctrine du Filioque contre Constantinople. Plus tard, un siècle après le concile de Francfort, Saint Photius le Grand de Constantinople fut durement persécuté pour sa défense de l’Orthodoxie sur ce point. Il réfuta les arguments de Hincmar de Reims, de Théodulphe d’Orléans et de Ratramne de Corbie dans sa célèbre Mystagogie du Saint Esprit. Les Franks ont eu du mal a convaincre Rome d’accepter la nouvelle doctrine. Le pape Jean VIII écrivit vers 880 à Saint Photius au sujet du Filioque : « Pour te rassurer touchant cet article qui a causé des scandales dans les Eglises, non seulement nous n’admettons pas le mot en question, mais ceux qui ont eu l’audace de l’admettre les premiers, nous les regardons comme des transgresseurs de la parole de Dieu, des corrupteurs de la doctrine du Christ Jésus, des Apôtres et des Pères qui ont donné le symbole. Nous les mettons au rang de Judas parce qu’ils ont déchiré les membres du Christ. »[31] Face à la fermeté du pape, les Franks, à court d’arguments, l’assassinèrent la même année. Mais avec le Filioque, le cheval de bataille des théologiens carolingiens contre Constantinople était le refus du culte des images. Le Concile de Francfort a ratifié les Livres carolins. Livre I, chapitre vi, en donne le ton par son titre : « Que la Sainte Eglise Romaine, Catholique et Apostolique, est placée au-dessus de toutes les autres Eglises, et elle doit être consultée chaque fois qu’une controverse apparaît concernant la foi. »[32] Le texte se poursuit ainsi : « Avant de s’embarquer sur une discussion des témoignages que les Orientaux ont fait valoir, de manière absurde, à leur Synode, nous trouvons bien de déclarer combien grandement la sainte Eglise romaine a été exaltée par le Seigneur au-dessus des autres Eglises, et comme elle doit être consultée par les fidèles : et ceci est particulièrement le cas du moment où les seuls livres qu’elle reçoit comme canoniques et les seuls Pères qu’elle a reconnus par Gélase et les autres pontifes, ses successeurs, doivent être acceptés et suivis ; ni doivent-ils être interprétés par la volonté privée de quiconque, mais sagement et sobrement. (…) Car comme les Sièges Apostoliques en général sont à préférer aux autres diocèses du monde, d’autant plus doit-on préférer le siège qui est placé au-dessus de tous les autres sièges apostoliques. Car, tout comme les Apôtres furent exaltés au-dessus des autres disciples, et Pierre fut exalté au-dessus des autres Apôtres, ainsi les sièges apostoliques sont exaltés au-dessus des autres sièges, et le Siège Romain domine les autres sièges apostoliques. Et cette action n’a sa source en aucune action synodale des autres Eglises, mais elle tient la primauté (primatum) par l’autorité du Seigneur lui-même, quand il dit ‘Tu es Pierre, etc.’ (…). » Pourtant, le Concile de Chalcédoine (451) avait accordé la primauté à l’évêque de Rome par son canon n° 28 : « … Car le Pères justement accordèrent des privilèges au trône de l’ancienne Rome, parce qu’elle était la cité impériale. Et les Cent Cinquante Evêques très pieux, motivés par les mêmes considérations, donnèrent des pareils privilèges (‡sa presbe‹a) au très saint trône de la Nouvelle Rome, jugeant justement que la cité qui est honorée avec l’Empire et le Sénat, et qui jouit de privilèges pareils à ceux de l’ancienne Rome impériale, devait être magnifiée comme elle l’est, et occuper le rang après elle ; …. » Ainsi, le Concile Œcuménique de Constantinople I (381) a accordé des privilèges à l’ancienne Rome qui, par conséquent, n’en jouissait pas auparavant. En outre, la raison pour ces privilèges accordés par droit ecclésiastique au IVème siècle, et par cela même manifestement non pas de droit divin, ni d’origine apostolique, est citée : cela n’avait aucun lien avec l’apôtre Saint Pierre, c’était tout simplement parce que Rome était la cité impériale. En d’autres mots, les Pères ont voulu que l’ordre ecclésiastique reflète l’ordre civil : ni plus, ni moins. Malgré ces fausses bases, l’argument ecclésiologique des Livres carolins se poursuit : « Cette église, donc, fortifiée par les armes spirituels de la sainte foi, et satisfaite aux fonts salutaires qui coulent depuis le puits de lumière et depuis la source de bonté, résiste aux monstres horribles et atroces des hérésies, et administre les coupes mielleuses d’enseignement aux Eglises Catholiques du monde entier (…) ». Les Livres carolins refusent le 7ème Concile Œcuménique, mais professent d’accepter le 6ème, tenu moins d’un siècle auparavant. Peut-être les auteurs n’en avaient-il pas lu les actes, car ils y aurait trouvé l’anathème contre le pape Honorius de Rome pour l’hérésie monothélite. C’est un texte difficilement conciliable avec la phrase que nous venons de citer. Voici l’extrait des actes de Constantinople III : 680-681) : « Le saint concile dit : Ayant considéré, selon la promesse que nous fîmes à Votre Altesse, les lettres doctrinales de Serge, autrefois patriarche de cette cité royale et protégée par Dieu, à Cyr, alors évêque de Phasis et à Honorius, naguère Pape de l’Ancienne Rome, et aussi celles de ce dernier au même Serge, nous trouvons que ces documents sont tout à fait étrangers aux dogmes apostoliques, aux déclarations des saints Conciles, et à tous les Pères généralement acceptés, et qu’ils suivent les faux enseignements des hérétiques ; par conséquent, nous les rejetons entièrement, et les exécrons comme nuisibles à l’âme. Mais les noms des hommes dont nous exécrons les doctrines doivent aussi être éjectés de la sainte Eglise de Dieu, à savoir, celui de Serge, autrefois évêque de cette cité royale et protégée par Dieu (…). Et avec eux nous définissons que doit être expulsé de la sainte Eglise de Dieu et anathématisé Honorius, qui fut naguère Pape de l’Ancienne Rome, à cause de ce que nous avons trouvé écrit par lui à Serge, car il a entièrement suivi son point de vue et confirmé ses doctrines impies. » « A Théodore de Pharan, l’hérétique, anathème ! A Serge, l’hérétique, anathème ! A Cyr, l’hérétique, anathème ! A Honorius, l’hérétique, anathème ! A Pyrrhus, l’hérétique, anathème ! » Ainsi, l’agenda théologique des Livres carolins est clair. Ils existent en deux recensions, une plus courte (85 chapitres), envoyée au pape Hadrien I vers 790, juste après Nicée II, et condamnée par le pape, qui reconnaissait Nicée II comme œcuménique, et une autre (120 chapitres), ratifiée à Francfort.[33] La préface des Livres est écrite au nom de Charlemagne lui-même, mais bien sûr, nul n’imagine qu’il l’ait composée réellement. Des similarités de style ont été remarquées avec les œuvres d’Alcuin, particulièrement son commentaire sur Saint Jean (4, 5, et seqq.), surtout en ce qui concerne un passage en Liber IV, cap. vj des Livres Carolins.[34] Après les bases ecclésiologiques que nous avons vues, les Livres procèdent à une condamnation ignorante et grossière de Nicée II. Pourtant, il semble certain, à la lecture des Livres, que son auteur ou ses auteurs n’avaient jamais lu les actes ni les décrets du Septième Concile Œcuménique dont il(s) parlai(en)t. Une pareille ignorance du Conciliabule de 754 est aussi manifeste.[35] Par exemple, au Livre IV, chapitre XIV, et aussi au chapitre XX[36], on accuse le Septième Concile, et particulièrement Grégoire, évêque de Néocésarée, d’avoir flatté l’Impératrice excessivement. Mais les remarques auxquelles se réfère cette accusation furent faites au Conciliabule de 754, non pas au Deuxième Concile de Nicée, et non pas par Grégoire de Néocésarée, qui ne faisait que les lire dans les actes de ce pseudo-concile lors du Concile Œcuménique de 787. On pourrait donner beaucoup d’autres exemples. Voici maintenant un exemple de l’incompétence théologique des Livres carolins : au Livre III, chapitre xvij, l’auteur attribue à Constance, évêque de Chypre, la déclaration monstrueuse que les images sacrées dussent recevoir l’adoration suprême due à la Sainte Trinité. C’est totalement méconnaître les actes du Concile Nicée II. Il est certain que la version latine des Actes de Nicée II envoyée par le pape Hadrien I à Charlemagne était si mal faite que beaucoup de passages étaient incompréhensibles et qu’on attribuait même à un évêque du concile cette opinion que les images sacrées devaient être adorées avec la même adoration due à la Sainte Trinité. En général, cette traduction confondait l’adoration (proskinisi, latreia) avec la vénération ou service (doule‹a), la distinction fondamentale pour la doctrine de Nicée II, en traduisant tous ces termes par adoratio. Anastase le Bibliothécaire dit de cette traduction : « Le traducteur a mal compris la nature de la langue grecque aussi bien que celle de la langue latine, traduisant simplement mot à mot ; et de telle manière qu’il n’est presque jamais possible (aut vix aut nunquam) d’en deviner le sens ; en outre, personne ne lit jamais cette traduction et on n’en fait pas de copies. »[37] Néanmoins, la volonté de condamner les Grecs avec mépris transpire tout au long des Livres carolins. Ces livres sont bourrés de fausses affirmations.[38] Dans la Préface, attribuée à Charlemagne, nous apprenons que le Conciliabule fut « tenu en Bithynie », tandis qu’il se réunit à Constantinople. Au Livre I, chapitre j, nous trouvons des expressions dont on affirme qu’elles se trouvent dans les lettres de l’Impératrice et de son fils. A ce sujet, Hefele observe : « On ne trouve ces expressions en aucune des deux lettres des ces souverains, qui sont conservées dans les actes du Concile de Nicée ; c’est le synode qui les emploie. »[39] Ces erreurs parsèment la totalité du texte, mais leur contenu n’est qu’un prétexte pour l’agenda anti-constantinopolitaine des Franks. Leur attitude est tellement têtue qu’ils condamnent la doctrine iconodoule du pape Hadrien I tout en enseignant son infaillibilité et son universalité, aussi bien dans les Livres carolins qu’au Concile de Francfort. Il paraît évident que pour les Franks, le pape ne sert que pour universaliser l’autorité de l’empereur d’occident, et que sa prétendue infaillibilité est ignorée quand elle ne se conforme pas à la politique de la Cour. Ainsi, à Francfort, l’occident prend le chemin – conciliairement – vers l’hérésie et le schisme. Higoumène Andrew (Wade) [1] Wladimir GUETTÉE, Histoire de l’Eglise, vol. 6, p. 53. [2] Henry B. PERCIVAL, The Seven Ecumenical Councils of the Undivided Church (1899), p. 583-4. [3] LABBÉ et COSSART, Concilia, vol. vii, col. 1057. [4] FLEURY, Hist. Eccles., lib. 47.4. [5] ROISSELET de SAUCLIERES, Hist. Chronol., vol. 3, no. 792, p. 385. [6] HEFELE, Concilien § 425. [7] Apud Sirm., Conc. Antiq. Gall., vol. II, p. 461. [8] GUETTÉE, op. cit., vol. 6, p. 116. [9] Script. Post Théoph. [10] GUETTÉE, op. cit., vol. 6, p. 110. [11] DELALANDE, Supplém. Concil. Gall.; EGINB. Annal., ann. 824. [12] MIGNE, Pat. Lat., vol. 88: De Vita Sancti Martini, lib. Iv, 690 (col. 426). [13] Op. cit., vol. 6, p. 113f. [14] Voir BARONIUS, Annal. Eccl. ad ann. 825, et DELALANDE, Supplément, Concil. Gall. [15] Op. cit. [16] Timothy WARE, The Orthodox Church (Penguin, Harmondsworth : 1963), p. 53. [17] Loc. cit. [18] Op. cit, p. 54. [19] Rom 15:22. [20] Irénée, Adversus hæreses, l. 3, c. 3 ; cf. Epiphane, Adv. hær., et Tertullien, Prescriptions, ch. 32. [21] Augustin, Contre l’hérétique Donat. [22] Augustin, Sermo 76, 1. [23] Cyprien, De unitate Ecclesiæ. [24] Grégoire le Grand, Lettre 25, l. 1 à Jean le Jeûneur. [25] Grégoire le Grand, Lettre 20 à l’empereur. [26] Grégoire le Grand, Lettre 27, l. 7, à Cyriaque. [27] Grégoire le Grand, Lettre 33, l. 7, à l’empereur. [28] Voir LABBÉ, op. cit., vol. vi ; HINCMAR de Reims, opusculum 14 ; Annal. Franç., ann. 785. [29] GUETTÉE, op. cit., vol. 6, p. 2. [30] Op. cit., p. 3f. [31] MANSI, 17A et 18A, 525 ABC. [32] PERCIVAL, op. cit., p. 580. [33] PERCIVAL, op. cit., p. 578. [34] Voir FORSTER, General Preface to the Works of Alcuin, no. 10). [35] PERCIVAL, op. cit., p. 579. [36] MIGNE, col. 1213 et 1226. [37] MANSI, vol. xii, 981. [38] PERCIVAL, op. cit., p. 581. [39] HEFELE, Histoire des Conciles, livre xx, chap. ij, § 400.
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